Les psychédéliques (PDL) sont des produits stupéfiants à la consommation interdite ou très réglementée dans la plupart des pays. Ils comprennent des substances comme le LSD, la psilocybine, la mescaline, le peyotl, la kétamine, la DMT, la MDMA ou l’extasy (qui est en réalité une amphétamine), l’ayahuasca, l’iboga et bien d’autres encore. Le terme psychédélique a été crée par le Dr Humphry Osmond en 1956 et signifie “qui révèle l’âme”.
Pour le grand public, ces produits sont associés à la toxicomanie, à la dépendance, au trafic et à la marginalité. Mais en réalité, les psychédéliques sont des substances naturelles utilisées depuis des millénaires par certains peuples afin de se soigner, comme en Amérique du Sud ou Centrale avec l’ayahuasca, la psilocybine, le peyotl et en Afrique avec l’iboga…
Ces mêmes molécules peuvent aussi, lorsqu’elles sont utilisées dans un cadre contrôlé [4] nous servir à soigner des troubles que nous avons encore du mal à traiter comme certains types de dépressions, certaines formes de dépendances, des états d’anxiété sévères ou certains traumatismes… Dès lors que ces substances sont utilisées par des praticiens expérimentés dans un cadre thérapeutique spécifique et adapté [4], elles peuvent se révéler plus efficaces que la plupart des traitements conventionnels.
La découverte du LSD et de ses indications thérapeutiques
Le LSD fut synthétisé en 1938 par Albert Hofmann chez Sandoz qui deviendra plus tard Novartis. En 1938, le LSD n’attira pas l’attention de ses découvreurs et ce n’est qu’en 1943 qu’Hofmann essaya sur lui cette molécule dont il avait l’impression qu’il ne lui avait pas « donné sa chance »… Il put ainsi constater que ce produit avait un effet très particulier sur la conscience et les perceptions, des recherches suivirent afin de trouver au LSD des débouchés thérapeutiques.
Dès les années 1950, des psychiatres se rendirent compte que le LSD était efficace afin de traiter l’alcoolisme[1]. Les docteurs Osmond et Hoffer observèrent alors que les patients traités au LSD pour leur alcoolisme rapportaient de façon durable un sentiment transcendantal, une grande paix intérieure, une profonde harmonie avec le monde, que cette substance les plongeait dans de profondes réflexions philosophiques et religieuses. Ils devenaient plus spirituels, plus emphatiques, plus conscients des autres et de leurs sentiments.
La Psychothérapie assistée par psychédéliques ou psychothérapie psycholytique au LSD
Dans la foulée, des cliniciens comme le Dr Sydney Cohen, la psychologue Betty Eisner ou le Dr Oscar Janiger (le psy de Cary Grant) constatèrent que le LSD administré à faible dose (de 25 à 150 microgrammes) facilitait les psychothérapies en permettant une forme d’abandon de l’ego, de certains mécanismes de défense qui entravent généralement la parole et les prises de conscience. Les patients discutaient beaucoup plus facilement de sujets difficiles ou auparavant inabordables. Un article de synthèse datant de 1967 évaluant des psychothérapies effectuées entre 1953 et 1965 indique un taux de réussite de 70% dans le traitement de l’anxiété, de 62% pour la dépression et de 42% pour des TOC[2].
Les psychothérapies assistées par psychédéliques vont bien au-delà de l’élimination des symptômes
À partir de la fin des années 1950, le LSD commença à devenir un objet culte aux USA, mais déjà il brouillait les pistes. En effet, au-delà de ses aspects psychothérapeutiques, le LSD ouvrait les personnes sur la spiritualité en leur faisant découvrir tout un pan de la réalité qu’elles n’avaient jamais envisagé avant d’en consommer… Le LSD a donc fait entrer Dieu et la notion de transcendance dans les cabinets des psys, les services de psychiatrie et le mélange fut parfois détonnant… Pas mal de thérapeutes étaient mal à l’aise afin de parler de ces sujets puis beaucoup de personnes ont expérimenté ce type de produit dans leur coin, sans cadre particulier[3]. Or ce ne sont pas des substances récréatives et toutes personnes qui les consomment ainsi s’exposent à des risques (chute, bad trip, c’est à dire état d’anxiété important, décompensation psychotique ou anxieuse sévère chez les sujets prédisposés…). De plus, l’usage récréatif dévoie des substances qui doivent être attachées à un cadre et à des rituels particuliers. Les problèmes ont donc commencé lorsque le produit a échappé aux cliniciens et aux chercheurs. Les complications n’ont pas eu lieu à cause du produit, mais à cause de leur usage irrégulier. Nous en faisons encore les frais aujourd’hui avec des substances classifiées à tort comme stupéfiantes donc interdites… Albert Hoffman disait, “… à cause d’une utilisation incorrecte et impropre, le LSD est devenu mon enfant à problèmes” (Albert Hoffman, LSD mon enfant terrible, 2003).
Le rôle de Timothy Leary
La consommation sauvage et récréative de LSD s’est inscrite dans le courant contestataire et de contre culture de la jeunesse américaine des années 1960. Timothy Leary, jeune professeur de psychologie à Harvard prônait urbi et orbi un usage tous azimuts des psychédéliques. Si on avait laissé faire Leary, il aurait mis du LSD dans l’eau du robinet !
La figure de Leary était pour l’establishment de l’époque associée au LSD et taper sur cette substance revenait à discréditer Leary. Or il voulait se présenter aux élections de 1969 contre Ronald Reagan pour le poste de gouverneur de Californie. Leary était l’ami de tous les milieux de gauche associés à la culture, John Lennon par exemple lui écrivit une chanson pour sa campagne électorale avortée de 1969 (“Come together” des Beatles)…
Il ne faut pas être dupe et la diabolisation du LSD fut une arme utilisée par Richard Nixon et la droite conservatrice américaine afin entre autres choses d’éliminer l’opposant politique qu’était devenu Leary… L’on peut dire que Nixon fut l’antagoniste chimiquement pur des psychédéliques… Ce genre de bassesse politique associée à l’inconséquence de Leary aura eu pour effet de disqualifier l’usage des psychédéliques jusqu’à aujourd’hui !
Particularités des psychédéliques (PDL) par rapport aux autres drogues interdites à la consommation
Contrairement à la plupart des autres drogues, les PDL ne déclenchent pas d’addiction. Si vous en prenez plusieurs jours de suite, très rapidement un phénomène de tolérance s’installera et le produit n’aura plus d’effet.
Contrairement à d’autres drogues comme l’héroïne, les PDL ne peuvent pas déclencher la mort par surdose.
Contrairement aux autres drogues en général (héroïne, cocaïne, tabac, alcool…) les PDL n’altèrent pas la santé.
Contrairement aux autres drogues en général, l’usager ne perd pas conscience. Au contraire si le cadre dans lequel le PDL est utilisé est celui de la psychothérapie ou du développement personnel (s’il est bien mené), l’usager pourra voir sa conscience augmenter, être comme en expansion. Cela favorisera les prises de conscience, la personne aura une meilleure compréhension de ses comportements, cela pouvant initier des changements d’attitude.
Les PDL ne sont pas intrinsèquement liés à la délinquance comme l’héroïne, la cocaïne, le crack et dans une moindre mesure le cannabis, car ils ne déclenchent pas d’addiction et de traffic lié à la dépendance.
Les PDL sont des anti-inflammatoires et agissent comme tel sur le cerveau en passant la barrière hématoencéphalique.
Des produits mal nommés et mal connus
Albert Camus disait, mal nommer les choses est ajouter au malheur du monde. Le terme de drogue hallucinogène n’est pas conforme à la réalité et aux observations cliniques. Ces substances devraient plutôt être qualifiées de visionnaires (qui déclenchent des visions parfois vraies, parfois fausses, souvent symboliques). Ou bien d’antactogènes (qui facilite le contact) ou encore d’enthéogènes (qui facilite l’accès à une forme de transcendance que certains appellent Dieu, d’autres la création…). La notion d’hallucinogène renvoie à un symptôme psychiatrique et à une vision matérialiste de la réalité. Mais il n’est pas fidèle à ce que les personnes décrivent lorsqu’elles utilisent le produit dans un cadre adapté.
Le terme hallucinogène induit en erreur, car lorsque ces produits sont utilisés dans un environnement spécifique [4], les visions produites sont différentes des hallucinations et très dépendantes du cadre dans lequel ils sont consommés. Ces visions peuvent être thérapeutiques, ce qui n’est jamais le cas pour une hallucination qui généralement stresse le sujet, l’isole de la réalité et de sa communauté. Les psychédéliques au contraire, lorsqu’ils sont correctement utilisés réduisent l’anxiété, peuvent apporter au sujet un sens nouveau et libérateur concernant certaines épreuves de l’existence. À titre d’exemple, ils peuvent être très utiles afin de prévenir le suicide et ses récidives. À contrario, un symptôme psychiatrique comme une hallucination n’est jamais apaisant, c’est pourquoi le terme hallucinogène est mauvais et trompeur.
En conclusion, le LSD et les autres psychédéliques sont des produits étranges aux vertus thérapeutiques avérées. Ils ont tendance à nous mettre face à nous même, à nous faire voir la vie et les obstacles de façon inédite en même temps qu’ils reflètent l’environnement dans lequel ils sont pris. Cet aspect est un phénomène mystérieux car une aspirine ou un antibiotique auront le même effet en haut de la tour Eiffel, au milieu des champs ou dans le noir avec de la musique mais pas les PDL… Enfin, la prohibition qui les encadre est d’un autre âge et dangeureuse. Elle crée des problèmes en induisant notamment une consommation de produits non contrôlés pouvant occasionner des problèmes de santé (problème de dosage et de produits adjuvants).
Ces substances n’auraient jamais du quitter les cabinets de consultation et les laboratoires de recherches. Il faut maintenant que les autorités assument leurs responsabilités en incitant des équipes de recherche à entamer des essais cliniques de stade 3 et 4 (financements publics car ces molécules sont dans le domaine public) sur le traitement de la dépression, de la crise suicidaire, des addictions (alcool, tabac, cannabis, cocaïne, opiacés, autres drogues de synthèse, troubles du comportement alimentaire et addictions sans objet) et des troubles anxieux (TOC, ESPT/PTSD, anxiété de fin de vie et des patients avec cancer…). Il est temps de réhabiliter ces produits afin de les remettre à disposition des patients.
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Bibliographie :
Un article du Point sur les PDL.
L’article original en anglais (English version here).
Un article de Scientific American sur la psychothérapie sous PDL.
Une thèse de médecine soutenue à la faculté de médecine de Lille en 2018 sur les PDL.
Olivier Chambon, La médecine psychédélique. Un des ouvrages de référence sur les psychédéliques en français, écrit par un psychiatre.
Michael Pollan,Voyage aux confins de l’esprit, la nouvelle somme de référence sur les PDL, avec notamment tous les aspects historiques liés au sujet. Concernant la conscience, le point de vue de l’auteur est plutôt matérialiste. Très intéressant !
Un petit dernier, écrit par Stéphanie Chayet, journaliste. Ce livre agréable à lire complète bien celui de M. Pollan et d’O. Chambon. L’auteur connait bien son sujet, je recommande !
Un ouvrage collectif sous la direction d’Olivier Chambon et de Jocelin Morisson. Ici, les auteurs se positionnent de manière assumée dans une perspective post matérialiste. Un très bon livre, j’ai beaucoup aimé la partie sur la MDMA.
Le site de la Société Psychédélique Française.
Le site du MAPS, objet de référence sur les PDL.
Une semaine d’émissions au sujet des PDL sur France Culture.
[1] Osmond et Hoffer dés 1953 observent qu’au moins 50% de leurs patients de l’hôpital de Weyburn restent sobre pendant au moins plusieurs mois après une prise de LSD.
[2] Grinspoon & Bakalar, Psychedelics Drugs Reconsidered, P.208, 1997.
[3], [4] Le fameux « set and setting » renvoie à l’état d’esprit (mindset) et à l’environnement dans lequel l’utilisateur prend la substance.